Il faut être toujours ivre.
Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.
Mais enivrez-vous.


Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront :
« Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris, XXXIII

 

Version audio par Serge Reggiani (1922 - 2004), acteur et chanteur français d'origine italienne :

 

Ce poème est tiré du recueil Le Spleen de Paris (sous-titré "Petits Poèmes en Prose"), édité deux ans après la mort de Baudelaire, en 1869.

Sous forme d'une exhortation, nous retrouvons un thème cher à Baudelaire : l'aspiration à lutter contre la fuite du temps, contre le fardeau du temps qui passe.

Baudelaire lui-même dans son existence a fait l'expérience du vin et des drogues, notamment de l'opium qu'il aimait fumer.

Vous n'avez pas les droits pour poster un commentaire.