" Toutes les fois qu'une force immense se déploie pour aboutir
à une immense faiblesse, cela fait rêver les hommes. "
Victor HUGO, Les Misérables
COMMENT FONCTIONNE LE SOL ?
L’arbre est le maître des sols.
Il fait tomber tous les ans des feuilles et des branches mortes : elles sont "attaquées" par une faune qu’on appelle la faune épigée et qui "mange" tous ces bouts de bois et feuilles, et va en faire des "crottes" (de la matière organique broyée en éléments très très fins) qui seront transformés en humus par les seuls organismes au monde qui en sont capables : les champignons (les basidiomycètes).
L'humus est la partie vivante et fertile de la terre.
Il ne représente que 5% de la surface du sol (moyenne mesurée pour une couche de 20 cm de profondeur), le reste étant composé de matières minérales (45%), d'eau (25%) et d'air (25%).
Un des rôles de l'humus est la régulation. Un sol riche en humus possède un véritable "pouvoir tampon" lui permettant de mieux résister aux aléas climatiques. Ainsi le pouvoir de rétention du sol en eau est augmenté (un kilogramme d'humus peut fixer plusieurs fois son poids en eau, selon un facteur 10 et plus), ce qui évite une infiltration rapide, le ruissellement en cas de fortes pluies et à l'inverse le déssèchement rapide de la terre en cas de sécheresse ou d'ensoleillement prolongés.
Il permet une bonne aération du sol, assure l'équilibre thermique (sa couleur sombre favorise l'échauffement au sortir de l'hiver), stabilise le pH (nature acide ou basique du sol) et renforce la résistance aux parasitismes.
La fabrication d’humus se fait à la surface du sol.
Les arbres s’adaptent astucieusement à ce système en créant un double enracinement, dont un enracinement horizontal (les racines traçantes) sous la matière organique.
En effet, au printemps, les humus qui ont été formés pendant l’automne et l’hiver par les basidiomycètes vont être minéralisés par les bactéries quand le sol va se réchauffer. Les champignons font l’humus, les bactéries minéralisent. En minéralisant elles vont libérer du nitrate, du phosphate qui va descendre avec l’eau de pluie : les racines horizontales de l’arbre vont récupérer ces éléments et va les renvoyer dans la frondaison (les feuilles). Le système sol-plante est fermé dans la nature, il n’y a pas de fuite : c’est pour cela que les nappes phréatiques sont propres sous les arbres (l’arbre a mis ses racines sous la matière organique).
Le deuxième système d'enracinement est appellé le pivot. Ce système pivotant va descendre jusqu’à la roche mère, et encore davantage si elle est fissurée.
L’arbre est le seul organisme vivant du monde qui est capable de prendre l’excédent de l’eau de pluie, de l’envoyer le long de ses racines dans lesquelles il va absorber tous les éléments nutritifs, et d’emmener cette eau pure dans la nappe phréatique.
C’est pour cela que l’arbre est indispensable dans le fonctionnement de cette planète : il est le seul capable de remplir la nappe phréatique.
A cette profondeur, la racine de l’arbre est en contact avec le monde minéral et va attaquer le caillou, en le transformant en argile.
Le sol est un complexe argilo-humique : l’humus est fabriqué en surface grâce au travail des champignons et la faune épigée, et les argiles sont fabriquées en profondeur par l’attaque des racines des arbres au contact du monde minéral.
A cette profondeur, des racines meurent, de nouvelles arrivent. Il existe heureusement une faune qui se nourrit de ces racines mortes - qui les nettoie - et qui va libérer de nouvelles galeries pour les racines suivantes : c’est la faune endogée. On y retrouve les mêmes groupes qu’en surface, des collemboles, des acariens, des (petits) vers aveugles... La faune épigée aère le sol en surface et la faune endogée aère le sol en profondeur...
Mais comment argile et humus se rencontrent pour former le sol ? Grâce à une troisième faune que vous connaissez généralement tous, qui sont les vers de terre.
Dans les pays tropicaux, les termites ont le même rôle.
Les vers de terre (les grands lombrics, ce qu’on appelle la faune « anécique ») habitent des galeries et des terriers, ils ne fonctionnent pas comme la faune épigée ou la faune endogée qui changent d’endroit tout le temps. Toutes les nuits ils sortent (laissant l’arrière de leur corps dans la galerie pour pouvoir rentrer dedans si un prédateur se présente) et prennent de la matière organique, redescendent puis remontent de l’argile. En faisant demi-tour, ils vident leur intestin pour fabriquer une crotte qu’on appelle un turricule. Or, les vers de terre ont dans leur intestin une glande qu’on appelle la glande de Morène qui est très riche en calcium. En remontant de l’argile, ils mélangent dans leur intestin de l’argile et de l’humus : les argiles et les humus ont une charge négative alors que le calcium est un ion qui a deux charges positives, d'où une charge positive attachée à l’argile et une charge positive attachée à l'humus. Ainsi ils vont fabriquer du complexe argilo-humique. Ce sont donc les vers de terre qui fabriquent la terre.
En dégradant les matériaux végétaux, les vers de terre excrètent ce complexe argilo-humique très fertile, puisqu'il est riche en azote, phosphore, potassium, magnésium, cuivre, calcium et carbone.
Source de l'image : http://www.monjardinenpermaculture.fr/pages/comment-ca-fonctionne
Alors comment l'humain a-t-il fait pour tuer les sols ? Il a inventé deux armes de destructions massives des sols : le labour (l'enfouissement des matières organiques) via les tracteurs, et les engrais chimiques.
PREMIÈRE ERREUR : ENFOUISSEMENT DE LA MATIÈRE ORGANIQUE
" Cet homme, qui est plus que les éléments dont il est formé, connaît la terre, qui est plus que son analyse.
Mais l'homme-machine, qui conduit un tracteur mort sur une terre qu'il ne connaît pas, qu'il n'aime pas, ne comprend que la chimie,
et il méprise la terre et se méprise lui-même..."
John STEINBECK, Les raisins de la colère
Au début du labour, les hommes utilisaient la charrue : ils "gratouillaient la terre" avec des chevaux, ce n'était pas bien grave...
Mais avec la découverte du tracteur, l'homme a tué les sols en mettant les matières organiques au fond, ce qui est une absurdité puisque les animaux (les épigés) vivent à la surface du sol.
Or, tous les champignons du monde sont aérobies (ayant besoin de la présence d’oxygène contenu dans l’air pour vivre et se multiplier).
Tous les paysans qui ont eu l'occasion de planter un piquet dans le sol le savent : quand ils sortent le piquet, la pointe du piquet est intacte, et le piquet est complètement rongé sur les premiers centimètres.
Nous l'avons vu, les nappes phréatiques sont propres sous les arbres (l’arbre a mis ses racines sous la matière organique).
La grande bêtise de l’agriculture moderne est donc de labourer, et par conséquent de mettre la matière organique sous les racines : le temps que les racines se développent et arrivent, "c’est minéralisé" et l'on envoie donc tout cela dans les nappes.
Les anciens faisaient à peu près 2 tonnes de paille en France en 1900, ils avaient 4% de matière organique.
Aujourd'hui nous faisons 5 à 6 tonnes de paille en France mais nous n'avons plus que 1,6% de matière organique sur l'ensemble du territoire.
Pourquoi ? Parce que nous les enfouissons, et à partir du moment où vous les enfouissez c'est fini, vous ne faites plus jamais d'humus.
Heureusement d'ailleurs pour la ville de Venise qui repose sur des piliers de bois, ces piliers de bois sont sous l'eau en anaérobiose où aucun champignon ne peut les écrouler, c'est pour ça que la ville est toujours là.
Le nombre de gens que je vois à mettre du compost avant de planter un arbre, qui passent leur temps à faire cette erreur, c'est une erreur fondamentale contre les lois universelles.
DEUXIÈME ERREUR : LES ENGRAIS CHIMIQUES
Que font les engrais chimiques ? Ils stimulent les bactéries. Or les bactéries minéralisent (elles ne font pas d'humus) et se multiplient 20 fois plus vite que les champignons...
Donc que se passe-t-il quand vous mettez des engrais chimiques ? Vous accélérez la minéralisation de la matière organique.
Quand cette matière organique tombe trop bas, la faune disparaît parce qu'elle s’en nourrit.
Un pays comme la France est passé de 2 tonnes de vers de terre par hectare en 1950 à moins de 100 kg.
Or, les vers de terre remontent tous les jours de la potasse, du phosphore, de la magnésie, du calcium...
Sans vers de terre, les éléments vont descendre. D’où une pollution des nappes, des rivières...
Les engrais chimiques permettent de nourrir la plante au détriment du sol, afin d'accélérer le développement et augmenter la production, sans se soucier de la qualité à long terme du sol et de l'humus, sans se soucier de la qualité nutritionnelle des légumes/fruits/céréales produits dans ces sols... Quelle bêtise !
Le trio NPK est la base des engrais chimiques : l'azote (N) stimule la croissance du végétal, le phosphore (P) favorise son enracinement et sa charpente, le potassium (K) favorise sa floraison et sa fructification.Chaque année (en 1997, NDLR), environ 500 kg d'engrais sont déversés par hectare... alors que 200 suffisent amplement, surtout comparés aux équivalences apportés par les engrais verts.
En se limitant au trio NPK, les engrais ne restituent pas au sol l'ensemble des minéraux, oligo-éléments et nutriments organiques - dont le carbone - indispensables au métabolisme des plantes.
Puisque tout est question d'équilibre... Les excès d'engrais ont une action antagoniste sur certains éléments. Ainsi en est-il de l'azote (nitrates) vis-à-vis du cuivre et du potassium (potasse) vis-à-vis du magnésium. Or le cuivre et le magnésium agissent comme cofacteurs de nombreuses réactions enzymatiques. Ils sont indispensables pour la fixation de l'azote atmosphérique, la synthèses des pigments verts cholorophylliens, l'activation du carbone du gaz carbonique fixé par les plantes et qui préside aux synthèses organiques...
Chez l'homme, ces carences portant sur le cuivre facilitent les infections à répétition; celles portant sur le magnésium facilitent les troubles neuromusculaires (type spasmophilie) et immunitaires.Le sol n'est plus considéré comme un milieu vivant où s'élabore le complexe nourricier, mais comme un simple support pour plantes et engrais.
Contrairement aux minéraux du sol, ces engrais chimiques sont facilement solubles et pénètrent rapidement dans le végétal.
Cliquer sur l'image ci-dessous pour l'agrandir
Source de l'image : http://confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/BDAP-A4-BD.pdf?PHPSESSID=9e7dkdv6shogep55radnoup6j2
Après cette dégradation biologique des sols, c'est la dégradation chimique.
Votre terre va perdre ses éléments nutritifs. Vous allez envoyer de l'azote dans les nappes, vous allez envoyer du phosphore dans les rivières : vous apauvrissez vos sols.
Or il se trouve que lorsque le taux de matière organique est tombé trop bas, et que vous avez minéralisé des ions fondamentaux qui attachent argile et humus, comme le fer, le calcium, etc., l'argile n'est plus attaché, il s'en va, les rivières se chargent de boue dès qu'il pleut, c'est la dernière mort, ce que j'appelle la mort physique des sols : votre sol part à la mer.
Depuis 1900, nous avons perdu à peu près 90% de notre activité biologique.
En particulier les champignons, qui ont complètement disparu avec les engrais chimiques.
Or ce sont eux qui font l’humus.
L'agriculture intensive se condamne à utiliser toujours plus de produits de traitement, aussi bien pour le végétal que pour l'animal.
Outre leur toxicité environnementale, certains engrais sont explosifs (à l'origine de l'Explosion de l'Ocean Liberty à Brest en 1947 avec 26 morts et 1 000 blessés graves, puis de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse en France en 2001 (31 morts et 2 500 blessés - j'étais malheureusement à 3 km de l'incident et l'ai observé en direct, avec les vitres qui se brisent toutes sous le souffle de l'explosion, les blessés...) ou encore de celle de West Fertilizer Co à West au Texas avec 15 morts et 200 blessés en 2013 par exemple).
Source de l'image : http://www.informaction.info/cqfs-en-1955-il-y-avait-63-millions-dagriculteurs-en-france-ils-ne-sont-plus-que-500000-aujourdhui
Sources principales : 2ème Assises nationales de la biodiversité 2012 (https://youtu.be/K7wbDr_P8NU)
et Nourrir la vie du Docteur LE GOFF, éd. Roger Jollois, 1997
La conférence dont sont extraits la plupart des informations de cet article :